Les contours de l’enquête interne en matière de harcèlement moral ou sexuel restent aujourd’hui encore flous. Cette incertitude peut exposer l’employeur à un risque contentieux important tant à l’égard de la victime que de l’auteur du harcèlement sanctionné.
Dans un arrêt du 18 juin 2025, la Cour de cassation réaffirme la nécessité, pour l’employeur, de produire une enquête complète, loyale et objective, faute de quoi son rapport peut être écarté.
A. Pourquoi organiser une enquête ?
L’enquête interne a tout d’abord vocation à répondre à une dénonciation/alerte donnée par un salarié ou le CSE.
Elle permet donc à l’employeur, dans un premier temps, d’apprécier la réalité des faits dénoncés.
Dans un second temps, l’enquête permettra à l’employeur de justifier des éventuelles sanctions disciplinaires qu’il aura mises en œuvre (avertissement, mise à pied, licenciement).
Il convient de préciser que les conclusions de l’enquête, qu’elle soit diligentée par l’employeur directement, le CSE ou un prestataire externe, ne lient pas le juge. Il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Le sérieux avec lequel l’enquête a été mené est donc déterminant pour lui assurer une réelle force probante devant les juridictions.
Dans de nombreux cas, les juridictions écartent purement et simplement des enquêtes jugées insuffisantes, laissant l’employeur sans moyen de défense. L’employeur a aujourd’hui tout intérêt à se faire assister dans la conduite de son enquête. Le Défenseur des droits propose d’ailleurs désormais un guide à destination des employeurs pour les aider dans cette lourde tâche.
B. L’enquête est-elle obligatoire ou facultative ?
La mise en œuvre d’une enquête harcèlement s’inscrit dans le cadre de l’obligation de sécurité et de prévention de l’employeur.
Si elle semble incontournable, la Cour de cassation a précisé qu’elle ne représente qu’un moyen, pour l’employeur, de justifier qu’il a pris des mesures suffisantes pour garantir la santé et la sécurité des salariés (Cassation sociale, 12 juin 2024, n°23-13.975).
Elle reste donc facultative en théorie mais fortement recommandée.
C. L’enquête doit être complète et loyale
Lorsque l’employeur fait le choix de diligenter une enquête, il doit s’assurer de son caractère loyal et objectif. A défaut, elle peut être écartée par le juge comme dans l’arrêt du 18 juin 2025 où la Cour de cassation.
Pourquoi l’enquête et son rapport sont écartés ? Les juges avaient relevé plusieurs anomalies :
- Certains comptes-rendus d’entretien étaient modifiés, incomplets et /ou anonymes.
- Certains faits reprochés aux salariés n’étaient corroborés par aucun autre élément de preuve malgré la présence supposée de témoins dont les noms avaient été supprimés des comptes-rendus d’entretiens.
- Seulement 5 témoignages sur 14 avaient été versés aux débats, sans explication
Dans ce contexte, il était permis de penser que les témoignages manquants avaient été supprimés car ils étaient favorables au salarié.
L’employeur n’apportait par ailleurs aucun élément permettant de justifier du caractère incomplet de l’enquête et de son rapport.
Dans ces conditions, l’enquête et son rapport sont écartés et le licenciement du salarié est jugé sans cause réelle et sérieuse.
D. Confidentialité et anonymat des témoignages : attention à l’équilibre
Les circonstances de l’affaire peuvent parfois conduire l’employeur à considérer que la confidentialité ou l’anonymat des témoins, constitue une mesure de prévention nécessaire pour garantir la sécurité et la santé des salariés impliqués.
Toutefois, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’anonymat des témoignages est proscrit. Dans un arrêt du 4 juillet 2018 (Cassation sociale, 4 juill. 2018, n°17-18.241), elle a réaffirmé que des témoignages anonymes ne peuvent être retenus pour fonder une décision de licenciement.
En revanche, la haute juridiction reconnaît l’importance de la discrétion dans la conduite de l’enquête. Une telle mesure peut s’avérer indispensable, notamment lorsque l’enquête porte sur des faits graves susceptibles d’altérer durablement la réputation d’un salarié mis en cause à tort.
Il est donc admis que l’identité des témoins puisse être réservée à la seule commission d’enquête, à condition que l’employeur soit en mesure de produire, en cas de contentieux, des témoignages signés et non anonymisés. Cette position a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juillet 2022 (Cassation sociale, 6 juill. 2022, n°21-13.631).
Conclusion
L’enquête interne en matière de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, constitue aujourd’hui un outil stratégique pour l’employeur. Si elle n’est pas toujours obligatoire, elle est souvent indispensable pour démontrer que l’employeur a pris les mesures nécessaires pour garantir la santé et la sécurité de ses salariés.
Encore faut-il que cette enquête soit menée avec rigueur, loyauté et impartialité. À défaut, elle risque d’être écartée par le juge, laissant l’employeur démuni, tant face à la victime qu’au salarié mis en cause.
Dans un contexte où la jurisprudence devient de plus en plus exigeante, il est essentiel de sécuriser chaque étape du processus, depuis la réception du signalement jusqu’à la rédaction du rapport d’enquête.
Notre cabinet accompagne régulièrement les employeurs dans la conduite d’enquêtes internes ainsi que dans la gestion contentieuse des situations de harcèlement. Que ce soit en amont, pour structurer une démarche conforme, ou en aval, pour défendre vos intérêts devant les juridictions, nous mettons notre expertise à votre service.
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